Sensibilité analytique et soumission chimique : revue de la littérature et présentation de deux cas

Dans la soumission chimique (SC), des substances psychoactives sont administrées le plus souvent à faible dose, à l’insu d’une personne. L’objectif principal de l’étude est de répertorier les sensibilités analytiques nécessaires pour détecter les molécules incriminées et les concentrations attendues après une dose unique. La présentation de deux cas du laboratoire complétera notre propos. La revue de la littérature a été réalisée sur PubMed à l’aide des mots clés : « Chemical Submission », « Drug Facilitated Sexual Assault », « DFSA drugs » et « Drug-Facilitated Crimes ». Elle a porté sur les cas de SC par ingestion, rapportés depuis 1995 et documentés par des méthodes chromatographiques couplées à une détection par spectrométrie de masse (GC-MS, LC-MS/MS), et par chromatographie gazeuse couplée à une détection par ionisation de flamme (GC-FID) pour l’éthanol. Les données pharmacodynamiques et pharmacocinétiques des molécules répertoriées dans le dernier rapport de l’ANSM ont été collectées (https://ansm.sante.fr/uploads/2021/04/19/plaquette-sc-n15-2019-vf.pdf). Elles concernent les benzodiazépines et apparentés, les antihistaminiques, les antiépileptiques, les neuroleptiques, les opioïdes, les antidépresseurs, l’éthanol et les stupéfiants (cocaïne, cannabis, GHB, amphétamines). L’étendue des concentrations après administration d’une dose unique pour chaque matrice (sang, urines, cheveux) et les cas rapportés ont été synthétisés. Ces concentrations ont été comparées aux concentrations thérapeutiques. Enfin, les limites de détection et de quantification des méthodes appliquées aux cas de SC ont été listées. Le cas 1 concerne une femme de 29 ans, pour laquelle une SC est suspectée. Des prélèvements (sang et urine) ont été réalisés aux urgences d’un hôpital périphérique (< 6 h après les faits). Une recherche de médicaments et stupéfiants a été demandée 3 jours plus tard par l’autorité judiciaire, les tubes ayant été conservés à 4 °C. Le cas 2 est celui d’une femme de 55 ans victime d’un viol. L’administration de cocaïne et/ou médicament était suspectée. Des prélèvements sanguins (tubes EDTA) ont été réalisés moins de 12 h après les faits, puis conservés réfrigérés un mois avant l’acheminement au laboratoire. Les deux patientes n’avaient pas de traitement habituel. Les analyses ont été effectuées par LC-MS/MS, GC-MS et GC-FID. De manière globale, les fenêtres de détection des substances et leurs métabolites sont : jusqu’à 3 jours pour le sang, 5 jours pour l’urine et plusieurs mois pour le cheveu selon sa longueur. Ces délais varient d’une molécule à l’autre. Notre étude montre que de nombreux cas de SC nécessitent un seuil de détection des substances psychoactives entre 0,5 et 10 μg/L selon la molécule dans le sang et les urines, et entre 0,1 et 10 pg/mg dans le cheveu (excepté la prégabaline et le GHB). Pour le cas 1, le paracétamol (11 mg/L dans le sang), la MDMA (89 μg/L dans le sang et 1837 μg/L dans l’urine) et la MDA (< 10 μg/L dans le sang et 73,5 μg/L dans l’urine) ont été retrouvés. Même si la patiente nie tout antécédent de consommation de stupéfiants, un recueil de cheveu aurait pu l’objectiver. Pour le cas 2, seul le bromazépam a été détecté à la concentration de 1,2 μg/L, compatible avec une prise unique. Cependant, on ne peut pas exclure une possible dégradation et perte de substances au vue des conditions de conservation. En l’absence de prélèvements urinaire et capillaire, on ne peut pas conclure quant à l’historique de consommation. L’analyse toxicologique des cas de SC nécessite d’utiliser des techniques analytiques sensibles et spécifiques. Les cas présentés illustrent les difficultés auxquelles les toxicologues sont également confrontés avec le délai entre les faits et les prélèvements, les matrices recueillies, les contenants et les conditions de conservation.