Des Odontodes Aux Mécanorécepteurs : Le Mystère Des Pseudodents Aviaires

En 1824, le grand naturaliste Etienne Geoffroy Saint-Hilaire découvrait fortuitement que les fœtus de perruches présentaient transitoirement des dents. En 1869, E. Goujon décrivait l’alignement de cylindres dur le pourtour du bec d’embryons de perroquets, qui contenaient des corpuscules sensoriels. Près de deux siècles après Geoffroy Saint-Hilaire, nous avons rouvert ce chapitre depuis lors abandonné et tenté de lier ces « dents » aux corpuscules décrits par Goujon. Durant le développement de l’embryon de perruches apparaissent des évaginations sur le bord des bourgeons maxillaires et mandibulaires, qui font l’objet ensuite d’une ossification intra-membraneuse. Ces ébauches expriment certains gènes-clés de l’odontogenèse mammalienne, comme Shh, Pax9, Bmp4, Pitx2. Chez l’adulte, ces excroissances osseuses sont couvertes par la partie cornée du bec, mais s’y poursuivent par des tiges dans lesquelles s’accumulent de nombreux corpuscules sensoriels, et constituent donc des organes tactiles. Ce genre d’organes existent classiquement au bout du bec de la plupart des oiseaux, pour constituer le « bill tip organ ». Chez la perruche, ils sont disséminés sur tout le pourtour du bec. Les oies présentent des « odontoïdes » ou denticulations sur leur bec, dépourvus de substrat squelettique. Ils apparaissent par plissement de l’épithélium, et expriment aussi les gènes de l’odontogenèse. Là aussi, ils sont remplis chez l’adulte de corpuscules sensoriels, comme le « bill tip », lequel se distingue par un mode de développement qui évoque celui des pseudo-dents des perruches. La mutation Talpid du poulet nous démontre la présence de pseudo-dents identiques à celles observées chez la perruche, et l’analyse d’embryons de poulet nous permet d’observer la présence temporaire d’ondulations le long de l’épithélium oral. Du reste, des oiseaux fossile (les pélagornithidés) présentent des pseudo-dents osseuses. Si les modalités morphologiques du développement de ces appendices aviaires sont fort différentes de celles des dents « classiques », le contrôle génétique en est similaire, et tout porte à croire que leur fonction est exclusivement sensorielle. Du reste, ce développement par évagination correspond à un mode archaïque d’organogenèse dentaire observé chez certains autres groupes (cyclostomes, amphibiens, dents temporaires des archosaures), à partir du concept d’odontode, structure ancestrale présente chez les premiers vertébrés. Dès lors, de telles observations tendent à démontrer que l’odontogenèse n’a pas totalement disparu chez les néornithes.